Appel à contribution pour un prochain numéro des Cahiers d'études africaines portant sur: "Penser les masculinités"
Où sont les hommes en Afrique ? Partout, assurément, comme en rend largement compte la littérature en sciences sociales consacrée au continent. Rarement, pourtant, les hommes sont étudiés en tant que tels. Pendant longtemps, le point de vue observé et restitué par les chercheurs, bien que se donnant implicitement comme valable pour tous, était un point de vue principalement masculin. Le développement des études féministes puis des études de genre, à partir des années 1970, a permis de mettre au jour cette déformation androcentrique du regard et de la corriger à travers la multiplication des recherches sur les femmes. Ce faisant, il a en partie maintenu dans l’ombre ce qui est longtemps resté un angle mort de la recherche en sciences sociales en Afrique : l’analyse des constructions de la masculinité.
Dans ce numéro, nous souhaiterions à la fois rassembler des études initialement conçues sous cet angle et inviter à s’interroger sur la masculinité ceux qui, se consacrant à des objets divers, enquêtent notamment auprès d’hommes. Précisons d’emblée qu’il n’y a pas lieu d’isoler la masculinité ni de la traiter sur un mode essentialiste comme une catégorie homogène : masculinité et féminité ne sont jamais définies séparément et la construction du genre est profondément relationnelle. Les normes de la masculinité diffèrent de plus selon les contextes, mais également à l’intérieur de chaque contexte, à travers les négociations plus ou moins visibles engagées par les individus ou les groupes autour de leurs définitions. Au delà des formes hégémoniques, le masculin se dessine au travers d’une pluralité de normes ou de valeurs qui coexistent ou s’affrontent.
Le principal objectif de ce numéro est de mettre en lumière les processus de fabrication des masculinités en Afrique dans leurs dimensions contemporaines ou historiques. Depuis le début des années 1990, de nouvelles approches du genre comme performance invitent non seulement à envisager le masculin et le féminin comme des constructions sociales mais aussi à considérer qu’ils sont l’objet d’une mise en scène perpétuelle, savamment exécutée par chaque individu en grande partie à son insu. Produite et reproduite indéfiniment par des performances invisibles qui la font apparaître comme allant de soi, la masculinité trouve sans cesse à s’exprimer tout en se dérobant le plus souvent aux regards. Aux côtés de ses manifestations « spectaculaires », dont l’excès ou le défaut supposés de virilité attirent l’attention, nous souhaiterions que les formes ordinaires de production et de reproduction de la masculinité soient ici rendues intelligibles.
Par exemple, l’analyse de la dominance masculine des institutions ou des espaces publics est rarement explicitée dans les travaux sur le politique ou sur le religieux, alors que les productions de la masculinité peuvent être redevables des logiques de ces espaces. Le cas de l’Afrique du Sud, dont les profondes transformations politiques et sociales survenues au cours des deux dernières décennies ont provoqué un certain bouleversement des normes de la masculinité, illustre bien l’intérêt et même la nécessité d’intégrer cette dimension à la réflexion sur les changements politiques ou religieux. Il serait particulièrement intéressant d’interroger les liens entre l’évolution de ces normes et les contextes de globalisation ou de nationalisme culturels. De manière plus spécifique, la réorientation progressive en direction des hommes des politiques liées à la problématique « genre et développement », longtemps tournées vers les femmes, mériterait d’être analysée.
En même temps que les discours ou les actions qu’elle génère, la distribution réputée inégalitaire du pouvoir dans le cadre des rapports de genre doit être repensée à partir d’une définition plurielle du masculin. Afin de dépasser l’opposition souvent faite entre domination masculine et pouvoir informel des femmes, il importe de s’interroger sur la répartition hiérarchisée du pouvoir parmi les hommes. En effet, l’observation détaillée des expériences et des relations sociales montre que les hommes ne forment pas une seule et même catégorie au pouvoir par définition supérieur. Selon leurs propriétés ou appartenances, qu’elles soient géographiques, ethniques, de classe, d’âge, etc., le rapport des hommes aux normes de genre et leurs positions vis-à-vis des femmes varient fortement. Le masculin n’apparaît plus dès lors comme dominant par essence, mais comme une catégorie dont la définition repose sur une imbrication de rapports de pouvoir où se trouvent impliqués bien d’autres facteurs que le genre.
Indissociable du genre, la sexualité constitue un espace où s’expriment et se négocient les rapports de pouvoir, notamment entre hommes et femmes. Longtemps occultée par les sciences sociales africanistes, cette thématique s’est progressivement imposée, mais il n’a pas suffisamment été montré ce que la production du genre, et tout particulièrement de la masculinité, doit à la sexualité. Par exemple, au cours des dernières années, de nombreux travaux ont décrit les logiques de la « sexualité transactionnelle » (sexualité rétribuée distincte de la « prostitution ») dans divers pays d’Afrique. Cet effort pourrait être poursuivi en montrant l’implication de ces logiques sur la construction des identités masculines, en restant attentif à la diversité des situations, les hommes n’étant pas nécessairement en position dominante lorsqu’ils rétribuent les femmes et étant eux-mêmes sans doute plus souvent bénéficiaires de rétributions dans le cadre de la sexualité (conjugale ou non) que cela n’est décrit dans la littérature.
Autre exemple : dans bien des pays africains, l’émergence récente du thème de l’homosexualité dans le débat public n’aura pas manqué de produire la « resignification » de pratiques jusqu’alors confinées au silence du domaine privé et de redéfinir la place d’identités sexuelles qui ont existé et existent encore dans divers pays africains comme alternatives aux rôles de genre strictement féminin et masculin. Des analyses de l’impact de ces controverses et des luttes antagoniques qu’elles supposent pourraient utilement éclairer l’évolution récente des catégories de la masculinité.
Les propositions d’articles (titre et résumé d’une page) sont à envoyer à Anne Doquet (annedoquet@yahoo.fr) et à Christophe Broqua (broquachristophe@yahoo.fr) avant le 1er juin 2011.
Où sont les hommes en Afrique ? Partout, assurément, comme en rend largement compte la littérature en sciences sociales consacrée au continent. Rarement, pourtant, les hommes sont étudiés en tant que tels. Pendant longtemps, le point de vue observé et restitué par les chercheurs, bien que se donnant implicitement comme valable pour tous, était un point de vue principalement masculin. Le développement des études féministes puis des études de genre, à partir des années 1970, a permis de mettre au jour cette déformation androcentrique du regard et de la corriger à travers la multiplication des recherches sur les femmes. Ce faisant, il a en partie maintenu dans l’ombre ce qui est longtemps resté un angle mort de la recherche en sciences sociales en Afrique : l’analyse des constructions de la masculinité.
Dans ce numéro, nous souhaiterions à la fois rassembler des études initialement conçues sous cet angle et inviter à s’interroger sur la masculinité ceux qui, se consacrant à des objets divers, enquêtent notamment auprès d’hommes. Précisons d’emblée qu’il n’y a pas lieu d’isoler la masculinité ni de la traiter sur un mode essentialiste comme une catégorie homogène : masculinité et féminité ne sont jamais définies séparément et la construction du genre est profondément relationnelle. Les normes de la masculinité diffèrent de plus selon les contextes, mais également à l’intérieur de chaque contexte, à travers les négociations plus ou moins visibles engagées par les individus ou les groupes autour de leurs définitions. Au delà des formes hégémoniques, le masculin se dessine au travers d’une pluralité de normes ou de valeurs qui coexistent ou s’affrontent.
Le principal objectif de ce numéro est de mettre en lumière les processus de fabrication des masculinités en Afrique dans leurs dimensions contemporaines ou historiques. Depuis le début des années 1990, de nouvelles approches du genre comme performance invitent non seulement à envisager le masculin et le féminin comme des constructions sociales mais aussi à considérer qu’ils sont l’objet d’une mise en scène perpétuelle, savamment exécutée par chaque individu en grande partie à son insu. Produite et reproduite indéfiniment par des performances invisibles qui la font apparaître comme allant de soi, la masculinité trouve sans cesse à s’exprimer tout en se dérobant le plus souvent aux regards. Aux côtés de ses manifestations « spectaculaires », dont l’excès ou le défaut supposés de virilité attirent l’attention, nous souhaiterions que les formes ordinaires de production et de reproduction de la masculinité soient ici rendues intelligibles.
Par exemple, l’analyse de la dominance masculine des institutions ou des espaces publics est rarement explicitée dans les travaux sur le politique ou sur le religieux, alors que les productions de la masculinité peuvent être redevables des logiques de ces espaces. Le cas de l’Afrique du Sud, dont les profondes transformations politiques et sociales survenues au cours des deux dernières décennies ont provoqué un certain bouleversement des normes de la masculinité, illustre bien l’intérêt et même la nécessité d’intégrer cette dimension à la réflexion sur les changements politiques ou religieux. Il serait particulièrement intéressant d’interroger les liens entre l’évolution de ces normes et les contextes de globalisation ou de nationalisme culturels. De manière plus spécifique, la réorientation progressive en direction des hommes des politiques liées à la problématique « genre et développement », longtemps tournées vers les femmes, mériterait d’être analysée.
En même temps que les discours ou les actions qu’elle génère, la distribution réputée inégalitaire du pouvoir dans le cadre des rapports de genre doit être repensée à partir d’une définition plurielle du masculin. Afin de dépasser l’opposition souvent faite entre domination masculine et pouvoir informel des femmes, il importe de s’interroger sur la répartition hiérarchisée du pouvoir parmi les hommes. En effet, l’observation détaillée des expériences et des relations sociales montre que les hommes ne forment pas une seule et même catégorie au pouvoir par définition supérieur. Selon leurs propriétés ou appartenances, qu’elles soient géographiques, ethniques, de classe, d’âge, etc., le rapport des hommes aux normes de genre et leurs positions vis-à-vis des femmes varient fortement. Le masculin n’apparaît plus dès lors comme dominant par essence, mais comme une catégorie dont la définition repose sur une imbrication de rapports de pouvoir où se trouvent impliqués bien d’autres facteurs que le genre.
Indissociable du genre, la sexualité constitue un espace où s’expriment et se négocient les rapports de pouvoir, notamment entre hommes et femmes. Longtemps occultée par les sciences sociales africanistes, cette thématique s’est progressivement imposée, mais il n’a pas suffisamment été montré ce que la production du genre, et tout particulièrement de la masculinité, doit à la sexualité. Par exemple, au cours des dernières années, de nombreux travaux ont décrit les logiques de la « sexualité transactionnelle » (sexualité rétribuée distincte de la « prostitution ») dans divers pays d’Afrique. Cet effort pourrait être poursuivi en montrant l’implication de ces logiques sur la construction des identités masculines, en restant attentif à la diversité des situations, les hommes n’étant pas nécessairement en position dominante lorsqu’ils rétribuent les femmes et étant eux-mêmes sans doute plus souvent bénéficiaires de rétributions dans le cadre de la sexualité (conjugale ou non) que cela n’est décrit dans la littérature.
Autre exemple : dans bien des pays africains, l’émergence récente du thème de l’homosexualité dans le débat public n’aura pas manqué de produire la « resignification » de pratiques jusqu’alors confinées au silence du domaine privé et de redéfinir la place d’identités sexuelles qui ont existé et existent encore dans divers pays africains comme alternatives aux rôles de genre strictement féminin et masculin. Des analyses de l’impact de ces controverses et des luttes antagoniques qu’elles supposent pourraient utilement éclairer l’évolution récente des catégories de la masculinité.
Les propositions d’articles (titre et résumé d’une page) sont à envoyer à Anne Doquet (annedoquet@yahoo.fr) et à Christophe Broqua (broquachristophe@yahoo.fr) avant le 1er juin 2011.
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