Entretien réalisé par Éric Fassin & Michel Feher
Pour mieux disqualifier le féminisme américain, on n’a voulu y voir, en France pendant les années 1990 qu’une des facettes d’une politique identitaire incompatible avec la culture politique française. On commence aujourd’hui à s’apercevoir qu’aux Etats-Unis le féminisme n’est pas tant l’incarnation d’une culture que l’expression d’une histoire, c’est-à-dire qu’il se définit par une suite de controverses qui dessinent des lignes de fracture : on pourrait donc parler au pluriel des féminismes américains.
Si l’oeuvre de Judith Butler n’est pas encore bien connue en France, c’est d’une part parce que sa critique radicale de l’identité, de l’essentialisme et du différentialisme, n’entre guère dans nos clichés sur l’Amérique et d’autre part parce qu’elle se trouve au point de croisement entre le féminisme et le mouvement gay et lesbien — rencontre qui a permis, bien davantage aux Etats-Unis qu’en France, d’articuler les questions de genre et de sexualité. Associée à une mouvance « queer » qui se réclame de ses travaux, Judith Butler est avant tout une philosophe des modes de subjectivation et une critique politique des normes et de leurs effets psychiques.Les formes de blocage qu’elle décrit dans les féminismes américains offrent un écho troublant à l’actualité des questions sexuelles en France. Les outils qu’elle propose à leur dépassement, à la fois théoriques et singulièrement sensibles aux expressions concrètes des relations de genre et de domination, y ouvrent une forme de respiration. On en ferait bien ses armes.
Judith Butler en français [NDLR : à la date de première parution de cette interview] : La vie psychique du pouvoir. Théories de l’assujettissement Léo Scheer, 2002 ; Marché au sexe (avec Gayle Rubin) EPEL, 2002
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